Tunisie : Une condamnation à mort pour des posts Facebook, un séisme pour la liberté d'expression
Dans une décision qui glace le sang et marque un tournant funeste pour la liberté d'expression, un tribunal tunisien a condamné à mort, le 1er octobre 2025, Saber Chouchane, un journalier de 56 ans, pour des publications sur Facebook jugées offensantes envers le président Kais Saied. Ce verdict, prononcé par le tribunal de première instance de Nabeul, est le premier du genre dans l'histoire de la Tunisie, où l'expression en ligne devient un terrain miné, révélant la dérive autoritaire du régime de Saied.
Saber Chouchane, père de trois enfants et handicapé à la suite d’un accident du travail, a été reconnu coupable d’outrage au président, de diffusion de fausses informations et de tentative de déstabilisation de l’État. Ses posts, publiés sur une page intitulée « Kaïs le misérable », contenaient des caricatures et des appels à manifester contre l’administration Saied, qualifiés par les juges d’incitation au chaos. Arrêté en janvier 2024, cet homme à la situation précaire, peu éduqué et à l’influence numérique quasi nulle, languissait depuis en détention provisoire. « Ses publications étaient souvent reprises d’autres pages, certaines sans aucun engagement », a plaidé son avocat, Oussama Bouthalja, devant un tribunal inflexible. En audience, Chouchane a expliqué que ses mots cherchaient à crier sa détresse face à la misère, non à renverser l’ordre public. « Nous sommes écrasés par la pauvreté, et maintenant par l’injustice », a témoigné son frère Jamal, la voix brisée, aux portes du palais de justice.
Ce verdict s’ancre dans le controversé Décret 54 de 2022, une loi sur la cybercriminalité qui criminalise la diffusion de « fausses nouvelles » nuisant à la sécurité publique ou aux droits d’autrui. Depuis son adoption, cette législation est devenue l’arme favorite du pouvoir pour museler les voix dissidentes, dénoncent les journalistes et les ONG. Alors que la Tunisie conserve la peine de mort dans son code pénal, aucune exécution n’a eu lieu depuis 1991, date de la mise à mort d’un tueur en série. Les condamnations à mort, rares et souvent commuées en prison à vie pour des crimes violents, rendent ce cas d’autant plus aberrant, appliqué à un homme dont les posts n’ont jamais franchi le seuil de l’anonymat numérique.
L’appel déposé par Bouthalja est désormais un cri d’espoir pour inverser une sanction que les défenseurs des droits humains, de la Ligue tunisienne des droits humains au CRLDHT à Paris, qualifient de « précédent terrifiant ». Sur les réseaux sociaux, l’indignation fuse, mêlant la colère des activistes à l’incrédulité des citoyens ordinaires, qui y voient une menace directe à leur droit de s’exprimer. Cette sentence, loin d’être un simple fait divers, expose la fracture béante entre un pouvoir de plus en plus autoritaire et une population asphyxiée par la crise économique et les libertés en déclin.
La Tunisie, berceau du Printemps arabe de 2011 qui avait chassé Zine El Abidine Ben Ali et porté l’espoir d’une démocratie régionale, assiste aujourd’hui à l’effritement de ses idéaux. Depuis juillet 2021, Kais Saied, élu en 2019 sur des promesses de renouveau, a suspendu le Parlement, limogé le Premier ministre et concentré les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire entre ses mains. Ce « coup de force », justifié comme une croisade contre la corruption, a vu des dizaines d’opposants, journalistes et activistes jetés en prison ou poussés à l’exil. La réélection de Saied en octobre 2024, boycottée par les principaux partis et marquée par une participation électorale famélique, n’a fait que consolider cet étau.
Condamner à mort un homme pour ses mots en ligne dépasse les bornes des standards internationaux et risque d’enflammer une jeunesse tunisienne déjà désabusée, pour qui les réseaux sociaux sont un ultime espace de liberté. Alors que l’économie stagne et que la région tangue dans l’instabilité, ce verdict agit comme une étincelle sur un baril de poudre. Les regards se tournent désormais vers la cour d’appel, mais aussi vers la communauté internationale, appelée à contrer cette dérive liberticide. Pour Saber Chouchane, sa famille et des milliers de Tunisiens, cette affaire n’est pas qu’un procès : c’est le symbole d’un peuple aux prises avec un État qui, au lieu d’écouter ses cris, choisit de les étouffer.