Côte d’Ivoire - Interview exclusive: « Un seul homme ne peut pas soumettre tout un peuple » Pascal Affi N’Guessan, Président du Front Populaire Ivoirien (FPI)

En dépit de l’interdiction préfectorale, des milliers d’Ivoiriens ont manifesté à Abidjan ce samedi 11 octobre 2025, à l’appel du Front commun PPA-CI/PDCI. Une démonstration de force qui traduit la détermination de l’opposition face à un pouvoir accusé de verrouiller le processus électoral. Dans cet entretien exclusif accordé à Nouvelles Afrique, Pascal Affi N’Guessan, président du Front Populaire Ivoirien, revient sur les motivations de cette mobilisation, dénonce une « mascarade électorale » et appelle les Ivoiriens à reprendre leur destin en main.


NA : Monsieur le président, le préfet d’Abidjan a interdit la marche de l’opposition prévue ce samedi en invoquant la nécessité de maintenir l’ordre public en période de campagne électorale. Malgré cela, le Front commun PPA-CI/PDCI a maintenu son appel à la mobilisation. Comment interprétez-vous cette décision ? Est-ce un acte de défiance ou une forme de résistance démocratique ?*


PAN : Il ne s’agit pas d’un acte de défiance, mais d’une réponse légitime à une décision injuste. Nous avons simplement exercé un droit fondamental reconnu à tout citoyen, celui de manifester pacifiquement pour exprimer son opinion. La marche de ce samedi n’était pas l’initiative d’un seul parti, mais celle d’un front commun regroupant l’ensemble des forces politiques de l’opposition. Elle traduisait une volonté collective de dire non à la confiscation du pouvoir et au musellement des voix discordantes.

Depuis plusieurs mois, l’opposition multiplie les appels au dialogue pour aborder les questions essentielles du processus électoral : la composition de la Commission électorale, l’accès équitable aux médias, la sécurité du scrutin… Aucune de ces préoccupations n’a reçu de réponse. Face à ce mépris institutionnalisé, nous avons décidé de faire entendre notre voix. Manifester, ce n’est pas défier le pouvoir, c’est revendiquer pacifiquement nos droits et rappeler que la Côte d’Ivoire appartient à tous ses enfants pas à un seul clan politique.


NA : Malgré l’interdiction, la mobilisation a été impressionnante à Abidjan. Des milliers de personnes ont répondu à l’appel. Y voyez-vous un signal fort adressé au pouvoir, à deux semaines du scrutin présidentiel ?*

PAN : Oui, et c’est même plus qu’un signal, c’est un avertissement adressé au régime. En 2020, nous avions déjà connu une vague de désobéissance civile importante. Mais ce que nous observons aujourd’hui est d’une ampleur inédite. La mobilisation de 2025 est deux à trois fois plus forte, plus déterminée, plus consciente. Les ivoiriens ne veulent plus subir.

Cette mobilisation témoigne d’un ras-le-bol général face à un pouvoir qui s’accroche, qui manipule les institutions et qui s’arroge le droit de décider qui peut ou non être candidat. C’est un message direct au président Alassane Ouattara, le peuple ivoirien veut le changement, la démocratie réelle et l’alternance. Il ne peut plus ignorer cette volonté populaire. Refuser de l’entendre, c’est s’exposer à une crise politique profonde, que personne ne souhaite mais que le peuple pourrait imposer par sa détermination pacifique.


NA : Votre candidature à l’élection présidentielle du 25 octobre a été rejetée par le Conseil constitutionnel. Vous avez déposé une plainte pour falsification de documents. Que recherchez-vous à travers cette démarche judiciaire ?*

PAN : Ce rejet est, pour nous, une grave injustice. Il n’est fondé sur aucun motif légal solide. Il s’agit d’une décision éminemment politique visant à éliminer les adversaires capables d’empêcher la reconduction du président Ouattara. En écartant des candidats de poids, le régime veut s’assurer un scrutin verrouillé, sans véritable concurrence, une sorte de course en solitaire présentée comme une élection pluraliste.

Nous avons donc saisi la justice pour marquer notre refus de participer à cette mascarade. La plainte contre X n’est pas une démarche symbolique, elle vise à démontrer que des manipulations de documents ont eu lieu pour justifier des exclusions arbitraires. Nous savons que la justice ivoirienne est hélas, sous influence, mais il est important d’agir pour le principe pour laisser une trace dans l’histoire. L’avenir retiendra que nous avons refusé de cautionner cette dérive institutionnelle.


NA : Le PPA-CI et le PDCI ont organisé cette marche ensemble. Cette unité de l’opposition est-elle, selon vous, un impératif pour instaurer un changement démocratique ? Quels en sont les obstacles ?*

PAN : L’unité de l’opposition n’est pas seulement un impératif, c’est aussi une condition de survie démocratique. Face à un pouvoir autoritaire et organisé, les forces du changement doivent parler d’une seule voix. Aujourd’hui, les Ivoiriens dans leur majorité aspirent à l’unité nationale et au respect des libertés. L’opposition a donc le devoir de se mettre au diapason de cette aspiration populaire.

Les divergences existent et c’est vrai, mais elles ne sont pas insurmontables. Nous devons dépasser les ambitions personnelles et les calculs partisans pour nous concentrer sur l’essentiel, la défense des droits, de la démocratie et de la dignité du peuple ivoirien. Au sein du Front commun, nous œuvrons à renforcer cette dynamique inclusive, à ouvrir le cadre de concertation à d’autres partis, mouvements citoyens et forces vives. C’est par une coalition large et cohérente que nous pourrons résister à la dérive autoritaire et ouvrir une nouvelle ère politique en Côte d’Ivoire.


NA : Quel rôle souhaitez-vous voir jouer par la communauté internationale dans le processus électoral ivoirien ?*


PAN : La communauté internationale est un acteur qu’on ne peut ignorer, mais elle ne doit pas se substituer à la volonté populaire. Nous avons connu, en 2010 et 2011, l’amère expérience d’une ingérence étrangère qui a profondément divisé le pays et laissé des plaies encore ouvertes.

Aujourd’hui, notre souhait est que cette communauté joue un rôle de veille et de témoin, pas d’arbitre. Qu’elle observe, qu’elle condamne les dérives, qu’elle refuse de cautionner la fraude, mais qu’elle laisse les ivoiriens décider de leur avenir. Nous voulons l’informer, la sensibiliser sur la nature autocratique du régime, sur les violations répétées des droits de l’homme, afin qu’elle en prenne acte. Mais la libération de la Côte d’Ivoire ne viendra que des ivoiriens eux-mêmes. C’est à nous, et à nous seuls, de reconquérir notre démocratie et notre souveraineté.


NA : Quel message souhaitez-vous adresser à vos compatriotes qui vous écoutent et vous suivent dans ce combat politique ?*

PAN : Je veux leur dire merci. Merci pour leur courage, leur lucidité et leur détermination. Ce samedi, malgré un dispositif sécuritaire impressionnant, ils sont sortis massivement, sans peur, pour dire non à la dictature. C’est un acte de bravoure, un acte patriotique.

J’ai vu des jeunes engagés, des femmes portant le drapeau national, des personnes âgées venues défendre la liberté. Tout cela prouve que la flamme de la dignité ivoirienne brûle encore. Je leur dis de rester debout, de ne pas céder au découragement ni à la peur. Un seul homme, aussi puissant soit-il, ne peut pas soumettre tout un peuple. Ce combat est juste. Il dépasse nos générations. Nous le menons pour que nos enfants et petits-enfants ne vivent plus jamais sous la tyrannie ni l’arbitraire.

La Côte d’Ivoire est un grand pays, un peuple fier. Nous devons croire en notre capacité à surmonter cette épreuve et à reconstruire une nation réconciliée, juste et démocratique.


NA : Pascal Affi N’Guessan, merci d’avoir répondu aux questions de Nouvelles Afrique*

PAN : C’est moi qui vous remercie.


Propos recueillis par Franck Olivier, pour Nouvelles Afrique