France - Le concerto des casseroles : chronique d’un pouvoir qui joue faux
Les grandes artères de la capitale résonnent d’un vacarme insolent : poignées de porte en mode percussion, couvercles de faitout reconvertis en cymbales, slogans scandés sans micro. C’est l’orchestre philharmonique du ras-le-bol, un ensemble sans chef où chacun tape en mesure, jubilant de couvrir, ne serait-ce qu’une soirée, la fanfare gouvernementale.
Pendant ce temps, à l’Élysée, on s’acharne sur la partition officielle. Les communicants, visages pâles sous la lumière bleue des écrans, retouchent ad nauseam la même mélodie : « responsabilité », « pédagogie », « urgence ». On croirait entendre un disque rayé vendu au prix du neuf. Seulement voilà : les mélomanes de trottoir n’achètent plus de vinyles, ils préfèrent les remixes maison, version casseroles haute-fidélité.
Le président, lui, s’imagine encore Jupiter, perché sur un nuage synthétique de chiffres, persuadé que la météo sociale se décide par décret. Problème : les nuages, ça tonne. Et quand l’orage gronde, un costume trois-pièces ne vaut guère mieux qu’un K-Way troué. Plus il jure qu’il tient la barre, plus la mer fait ses vagues, hérissée d’immenses pancartes au verbe riche et sans couverts : « Dégage ! », « On n’en peut plus ! », « Faites payer la retraite à vos copains CAC 40 ! ».
Sur les plateaux télé, ministres et porte-paroles alignent des mines exfoliées à la poudre de perlimpinpin ; ils jurent que tout est sous contrôle, un peu comme un pyromane qui expliquerait que la braise, finalement, ça tient chaud. Leur argument de choc ? « Le dialogue est ouvert ». Traduction libre : « Tant que vous restez derrière une barrière de police, on vous écoute très fort ». Pas sûr que ça suffise à calmer les cordes vocales du pays, lesquelles ont troqué la Marseillaise contre un slam rugueux : « Liberté, égalité, ticket de caisse flambé ».
Dans les usines qu’on ferme, chez les gamins de banlieue en aplomb sur les murets, chez les retraités qui comptent les centimes avant la supérette : personne n’a reçu la notice Power Point. On voit la baguette passer de 0,95 € à 1,45 €, et on cligne des yeux ; pour le gouvernement, c’est « l’inflation importée », pour la population, c’est le beurre qui se fait la malle de la tartine. Résultat : les Français montent le son comme un DJ déchaîné ; le palais, lui, feint d’avoir perdu le bouton volume.
La fracture se lit jusque dans les cafés. Les amateurs de petit noir débattent à pleins poumons, improvisant des référendums sur coin de comptoir. « Alors, elle est où ta fameuse start-up nation ? » lâche un moustachu en frappant le zinc. Le serveur hausse les épaules : quand on est payé à l’heure, la révolution, c’est souvent après la fermeture.
Et pourtant, derrière la cacophonie, perce une note claire : la démocratie n’est pas morte, elle crie pour rester en vie. Chaque casserole, chaque bout de carton brandi, réinvente le bulletin de vote sorti de sa boîte un an trop tôt. Le pouvoir aura beau filtrer les cortèges, compter les pavés, multiplier les grenades lacrymogènes : impossible de rafistoler un silence aussi déchiré.
On raconte qu’au théâtre, lorsqu’un acteur oublie son texte, il improvise ; lorsqu’un président oublie son peuple, c’est le peuple qui improvise. Et l’improvisation actuelle sonne comme un rap de rue : brut, saccadé, impossible à censurer. Plus personne n’a envie d’attendre la prochaine élection pour tourner la page ; on préfère déchirer le chapitre en direct, quitte à se mettre de l’encre jusque sous les ongles.
Au final, tout cela rappelle un vieux proverbe gascon : « Qui n’écoute pas la pluie finira sous l’averse ». En clair : l’exécutif ferait mieux d’emprunter un parapluie, ou mieux, d’ouvrir grand les oreilles avant que la foule ne remplace les coups de casserole par quelque chose de moins musical. Car un chef d’État sans public, c’est comme une symphonie sans violons : ça grince, et ça finit avec la salle vide.